dimanche, mars 18, 2007

Anna GAVALDA - Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part




p11

Je pousse la porte et tout de suite c’est : l’odeur de la bière mélangée à celle du tabac froid, le ding ding du flipper, la patronne hiératique avec ses cheveux colorés et son chemisier en nylon qui laisse voir son soutien-gorge à grosses armatures, la nocturne de Vincennes en bruit de fond, quelques maçons dans leurs cottes tachées qui repoussent encore un peu l’heure de la solitude ou de la bobonne, et des vieux habitués aux doigts jaunis qui emmerdent tout le monde avec leur loyer de 48. Le bonheur.



p46

J’ai trente-huit ans et je vois bien que ma vie part en couilles. Là-haut ça s’écaille tout doucement. Un coup d’ongle et c’est des semaines entières qui partent à la poubelle. Je vais même te dire, un jour où j’entendais parler de la guerre du Golfe, je me retourne et je dis :

– C’était quand la guerre du Golfe ?

– En 91, on me répond, comme si j’avais besoin du Quid pour une précision… Mais la vérité, putain, c’est que j’en avais jamais entendu parler.

À la poubelle la guerre du Golfe.

Pas vu. Pas entendu. Là, c’est toute une année qui ne me sert plus à rien.

En 1991, j’étais pas là.

En 1991, j’étais sûrement occupé à chercher mes veines et j’ai pas vu qu’y avait une guerre. Tu me diras je m’en fous. Je te dis la guerre du Golfe parce que c’est un bon exemple.

J’oublie presque tout.

Sonia, tu m’excuses mais c’est vrai. Je ne me souviens plus de toi.

Et puis j’ai rencontré Ambre.

Rien qu’à dire son nom, je me sens bien.

Ambre.



p59

Quand j'arrive à la gare de l'Est, j'espère toujours secrètement qu'il y aura quelqu'un pour m'attendre. C'est con. J'ai beau savoir que ma mère est encore au boulot à cette heure-là et que Marc est pas du genre à traverser la banlieue pour porter mon sac, j'ai toujours cet espoir débile.

Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part... C'est quand même pas compliqué.



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